« Zéro Artificialisation Nette » : les élus doivent être mieux accompagnés !
Un objectif partagé au départ
Promulguée en août 2021, la loi Climat et résilience a instauré l’objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) des sols d’ici 2050. Pensé pour lutter contre l’étalement urbain et le grignotage progressif des espaces naturels qui mettent en péril la biodiversité, en augmentant le niveau de pollution et des émissions de CO2, cet objectif était le bienvenu. Il était en effet urgent de freiner l’artificialisation des terres et d’en renaturer certaines lorsque c’est possible.
Il supposait de repenser en profondeur les aménagements urbains et de préserver les espaces naturels, agricoles et forestiers. Un enjeu structurant pour l’avenir des territoires urbains comme ruraux.
Toutefois, la réussite de la mise en œuvre du « ZAN » dépend de son appropriation par les élus locaux et les populations. Atteindre cet objectif suppose de tenir compte des réalités et spécificités locales.
Une consultation lancée par le Sénat
Depuis l’adoption de la loi Climat et résilience, les textes d’application publiés par le Gouvernement inquiètent et fragilisent les élus locaux placés, sans soutien, en première ligne. Le refus du dialogue de la part du Gouvernement sur un sujet aussi complexe, et qui engage le pays dans la durée, est problématique.
En effet, j’ai constaté comme beaucoup de mes collègues Sénateurs, et les nombreuses remontées des territoires en sont l’illustration, que la mise en œuvre de la loi « Climat et résilience », soulevait beaucoup d’interrogations et d’inquiétudes en matière d’urbanisme et de développement économique.
C’est pourquoi, le 18 mai dernier a été lancée au Sénat une consultation auprès des élus locaux sur le ZAN, que j’ai moi-même relayé dans notre département. Vous avez été nombreux à y répondre et je vous en remercie.
Cette consultation, qui a duré 40 jours, a été un succès, avec 1 250 contributions, majoritairement issues des communes- et de communes de toute taille, notamment rurales.
Quels sont les enseignements de cette consultation ?
Cette consultation confirme la forte inquiétude des élus, en particulier des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), qui arrivent en bout de chaîne du ZAN, piloté par l’État et par les Régions.
L’aggravation des inégalités pour le rural
L’inquiétude très forte des territoires ruraux ressort aussi nettement de cette consultation. Vous avez été nombreux à dénoncer une logique purement comptable. En effet, la moitié environ des communes répondantes accorde seulement entre zéro et cinq permis de construire par an, et un quart pas plus d’un par an ! Comment réduire de 50 % l’artificialisation pour elles ? Ce serait un quasi-gel de toute constructibilité. Au niveau global, les 1 162 communes répondantes, soit 3 % des communes françaises, déclarent devoir rendre inconstructibles des surfaces dont le total équivaut à celle de Saint-Étienne ou de Toulouse.
C’est un véritable enjeu : la méthode retenue fait craindre aux élus un creusement des inégalités et de la fracture territoriale entre aires urbaines en croissance et ruralité en déclin, ce qui pourrait entraîner une crise d’acceptabilité auprès des élus comme des citoyens, alors même que l’objectif est partagé par une grande majorité des élus.
Enfin, il ressort des résultats que le recyclage foncier et la renaturation peinent à convaincre. Car beaucoup rappellent que les territoires urbains disposent, en général, d’un gisement de foncier artificialisé historiquement plus important, et donc d’un plus grand potentiel « net » que les territoires très largement agricoles.
Or, 77 % des élus estiment d’ores et déjà que le foncier mobilisable est rare sur le périmètre de leur collectivité. L’impact anticipé sur les prix est donc important, et un tiers des maires estiment que leur politique du logement en sera négativement impactée.
À l’heure de la réindustrialisation et de la revitalisation des centres-bourgs, 67 % des élus estiment enfin que les objectifs de la loi « Climat et résilience » ne sont pas conciliables avec le développement économique de leur collectivité : c’est inquiétant et nous devons réagir !
Un manque d’information et de moyens jugé inquiétant
Premièrement, ils soulignent le manque d’information qui leur parvient sur les obligations qui s’imposeront à eux. Ils déplorent le manque d’accompagnement par les services de l’État. Les collectivités semblent effectivement bien seules face à la mise en œuvre du ZAN : 72 % des répondants ne s’estiment pas assez informés, bien que 58 % aient reçu une présentation sur le sujet. Alors que les réseaux d’élus locaux sont souvent mentionnés comme appui, seuls 10 % des répondants citent l’aide des services de l’État.
Surtout, et c’est assez inquiétant, seuls 18 % des élus estiment disposer des moyens humains, financiers et techniques pour déployer le ZAN, par exemple pour réviser leurs documents d’urbanisme et revoir leur politique du logement.
Enfin, en tant que premier échelon de proximité et directement responsables envers les habitants, les élus sont en première ligne : 85 % d’entre eux estiment que le ZAN est mal compris, voire rejeté par les citoyens de leurs collectivités. L’acceptabilité sera, il est évident, un vrai sujet démocratique à mesure que le ZAN révélera l’étendue de ses conséquences…
Plus de souplesse et d’adaptation dans la mise en œuvre
Deuxièmement, si les élus partagent les objectifs environnementaux du ZAN, la méthode retenue par le Gouvernement ne les satisfait pas… et moi non plus, d’ailleurs ! Au Sénat nous avions déjà alerté plusieurs fois sur ces points : il y a un besoin de souplesse, de territorialisation. Surtout, il faut prendre des décrets en application de la loi, et non en contradiction avec elle…
Pour être très clair : le désaccord ne porte pas sur les objectifs : plus de 80 % des élus considèrent que la protection des sols, des terres agricoles, de la biodiversité, des espaces, des sites et de l’environnement tient une place importante ou très importante dans les politiques de leur collectivité.
Mais la méthode pèche. Un an plus tard, seuls 8 % estiment que la méthode « en cascade », selon laquelle la Région fixe des cibles qui s’imposeront aux autres collectivités, leur permet de faire valoir leurs spécificités, de garder une marge de manoeuvre foncière et d’assurer le développement économique et social de leur territoire.
62 % d’élus de communes craignant que la loi n’ait pas un impact équitable sur les différentes collectivités du même EPCI ou de la même Région. La mutualisation, déjà prévue par le Sénat au niveau régional, est une piste : 75 % des élus seraient aussi favorables à une mutualisation intercommunale des projets. Encore faudrait-il toutefois que les décrets du Gouvernement sur les projets d’intérêt régional ou national soient conformes à ce que les Sénateurs ont voté… À ce jour, cette mutualisation n’est pas effective.
Un financement mal anticipé
Troisièmement, l’absence de tout « modèle ZAN » éprouvé, en termes de financement et d’articulation entre politiques de logement, de développement économique, de fiscalité et de développement durable, est perçue comme un frein majeur.
D’abord, les collectivités devront porter, sur leurs budgets propres, la révision de la majorité des documents d’urbanisme de France – 73 % d’entre eux selon notre consultation. Or, l’État a gelé ses dotations depuis de nombreuses années. Tous ceux qui viennent de terminer des révisions, au prix de longs délais et d’un coût important, seront bons pour recommencer… et ce en payant de leur poche !
Ensuite, pour atteindre leurs objectifs, des communes et EPCI n’auront d’autre choix que de renoncer à des projets engagés de longue date, même lorsqu’ils avaient mobilisé d’importants moyens pour équiper en réseau ou aménager les espaces consacrés à la construction. Ce sera une perte nette pour les collectivités, qui n’auront plus de retour sur investissement et devront bouleverser leur planification locale.
Ces résultats confirment ce que nous avions soulevé pendant le vote de la loi, et mérite que l’on se mobilise fortement sur cette question du ZAN. Loin de poser les bases solides d’une réforme d’ampleur, ces difficultés accentuent le sentiment déjà bien ancré d’abandon et de mépris des populations notamment du monde rural, déjà confrontées aux déserts médicaux, à la disparition des services publics et à la question des mobilités.
Face au désarroi des élus démunis, le groupe SER se mobilise et demande au Gouvernement d’ouvrir sans délai une véritable concertation avec les collectivités.
S’agissant des territoires ruraux, le groupe SER propose en complément :
- Des mesures d’adaptation spécifiques qui garantissent le droit au développement économique des territoires ruraux, inscrit dans la loi.
- La création d’un fonds « reconquête du bâti existant dans le rural ».
- Un appui en ingénierie dédié et adapté, piloté par l’ANCT.
- Une loi d’orientation et de programmation pour l’habitat rural afin de répondre aux défis à relever et envisager des opportunités nouvelles et innovantes pour l’accès au logement des jeunes ménages résidents et l’accueil de nouvelles populations.
Ce dialogue est incontournable car il y a urgence. Le Gouvernement s’est engagé récemment à rouvrir le dialogue et à retravailler sur les décrets d’application. Je serai vigilant afin que des modifications soient apportées au plus vite pour mieux accompagner les élus locaux, sans quoi le « ZAN » sera irréalisable.