Un rapport sénatorial « À la recherche de l’État dans les territoires »

Où est passé l’État dans nos territoires ?

Incongrue de prime abord, cette question mérite d’être posée et a donné lieu à un rapport d’information de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, tant l’administration déconcentrée de l’État a connu de réorganisations depuis une quinzaine d’années. En effet, une consultation des élus locaux et des agents de l’État a mis en évidence le trouble jeté par l’enchainement des réformes, leur rythme toujours plus soutenu et leurs conséquences systématiquement dépourvues d’évaluation.
Si l’intention affichée de ces réformes ne paraît pourtant pas contestable « améliorer le fonctionnement de ces services pour répondre au mieux à la demande d’État dans les territoires », le résultat se révèle nettement plus contrasté.

Le bilan dressé par les deux rapporteurs, Agnès Canayer et mon collègue Éric Kerrouche, sénateur Socialiste des Landes, met en évidence les conséquences de ces réformes qui ont vidé les territoires ruraux d’une partie des services publics éloignant l’État des élus locaux et de leur population ; bilan partagé semble-t-il par l’Élysée qui ré-ouvrira 5 sous-préfectures d’ici la fin de l’année et entend ainsi œuvrer pour un retour de l’État dans la ruralité. Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé l’ouverture d’un « nouveau chapitre de la décentralisation », le rapport se fait fort de recommandations afin de fluidifier et de rendre plus efficace la relation entre l’État territorial et les collectivités.

Si en Ariège nous bénéficions de relations privilégiées avec les services préfectoraux, avec une Préfète et des Sous-Préfets disponibles et à l’écoute de tous, nombre des propositions du rapport d’information permettraient tout de même des améliorations nécessaires de l’État territorial.

Un éloignement de l’État au fil des réformes subies par les territoires

Décentralisation, services déconcentrés, État territorial… autant de notions récentes en comparaison de la longue évolution de l’administration de nos territoires, et qui renvoient aux enjeux de l’organisation de proximité de l’État. En 1992, la loi relative à l’administration territoriale de la République (dite « loi ATR ») précise ainsi en son article 1er que « l’administration territoriale de la République est assurée par les collectivités territoriales et par les services déconcentrés de l’État ». Apparaît dès lors le lien indéfectible, au travers de l’État territorial, entre l’État et ses services déconcentrés, d’une part, et les collectivités territoriales, d’autre part.

Force est de constater que l’objectif commun aux réformes successives visant à améliorer le fonctionnement de ces services déconcentrés pour mieux répondre à la demande dans les territoires est loin d’être atteint. 80% des élus locaux mais aussi 43% des préfets et sous-préfets interrogés par le Sénat déplorent le manque de concertation à l’occasion des réformes. Les acteurs de la l’administration locale non associés aux actes de la déconcentration ont donc le sentiment de subir les nouvelles organisations.

Les chiffres parlent d’eux même quand les effectifs des Direction Départementales Interministérielles ont chuté de 36 % sur les 10 dernières années. Il en résulte un sentiment de relégation dans certains territoires ruraux, conséquence de la disparition de services publics au profit d’une administration centralisée et distante. Ainsi la moitié des maires des communes de moins de 1000 habitants estime que l’offre de services publics est défaillante. Force est de constater que la baisse des moyens de l’État dans les territoires et l’extrême difficulté pour les élus locaux à identifier le bon interlocuteur dans les méandres de l’administration territoriale font croître le sentiment d’abandon.

Comme je l’entends régulièrement sur le terrain la logique des appels à projet et autres manifestations d’intérêt impose aux collectivités de rentrer dans des cases prédéfinies et bride aussi leur initiative. De plus ces dispositifs requièrent, pour candidater, un niveau d’expertise hors de portée des plus petites d’entre elles, les excluant de fait de ces financements fléchés.

Au-delà de ces dispositifs, faute d’ingénierie en interne, les communes les moins peuplées se tournent avant tout vers le département et l’intercommunalité lors des lancements de projets sans aller rechercher une assistance auprès des services de l’État. En poussant la logique du repli étatique jusqu’à son terme, on peut s’interroger sur le rôle que l’État sera encore capable de tenir demain dans l’accompagnement des territoires ruraux.

L’attente d’un partenariat revisité autour d’un préfet chef de fil de l’État déconcentré

La crise sanitaire a prouvé la nécessité d’une bonne relation entre les maires et les préfets de département, binôme clef de l’administration territoriale.  Elle a en particulier permis de mettre en avant la pertinence de ce circuit décisionnel court, même s’il est exceptionnel.

Mais en dehors des périodes de crise durant lesquelles des réquisitions peuvent intervenir des pans très importants de l’action de l’État échappent en totalité ou en partie, au préfet. Par exemple, les Agences régionales de santé (ARS), le réseau des finances publiques et le Rectorat d’académie. Cette situation n’est pas sans conséquences sur la présence de l’État dans les territoires, l’unicité des positions qu’il est censé affirmer et, au final, sa relation avec les élus locaux.

Une large majorité des élus ayant répondu au questionnaire des rapporteurs (64,7 %) considère que « les agences de l’État sont trop nombreuses ». Cette appréciation est partagée par les préfets et les sous-préfets dans une proportion encore plus conséquente (80 %). Les conséquences en termes de pertes de temps, de projets à l’arrêt faute d’orientation claire ou de décisions tardives venant mettre à mal des mois et des mois de travail, imposent d’imaginer un autre modèle d’organisation afin de remettre de la cohérence dans le champ de l’État et de ses agences et conduire à l’unicité de la parole de l’État dans les territoires. A cette fin les sénateurs préconisent d’ancrer le préfet au cœur du fonctionnement local en lui permettant de manière effective l’autorité sur l’ensemble des directions départementales et en le nommant délégué territorial des agences de l’État. Ils appellent également à instaurer une durée minimum de leur affectation de 4 ans.

Généralement, l’accès au préfet est facilité pour les représentants des collectivités d’une certaine taille : l’importance des enjeux traités ou le poids politique au niveau national, dans le département ou la région, ouvrent plus facilement les portes de la préfecture. En revanche, les élus des « petites » communes, a fortiori isolées en milieu rural, ne disposent généralement ni de la même visibilité ni des mêmes réseaux de connaissances. Aussi, se tournent-ils plus spontanément vers le sous-préfet et les services déconcentrés pour traiter les difficultés auxquelles ils sont confrontés dans l’exercice de leur mandat.  Le maintien et le renforcement des sous-préfectures est donc essentiel au maillage des services de l’État. D’autant plus que l’attente des collectivités d’une véritable fonction de conseil juridique de la part du préfet et de ses services est désormais fortement exprimée et apparaît indispensable.

Comme dans tout partenariat, une relation de confiance est indispensable entre les acteurs. La concertation nationale avec les associations d’élus en amont de la mise en œuvre des nouvelles politiques gouvernementales chevauchant sur les compétences locales, mais aussi plus localement l’information des maires préalablement à l’évolution des services de l’État sur leur territoire sont nécessaires pour construire ce climat de confiance. Les Sénateurs proposent d’abaisser pour la Dotation d’Équipement des Territoires Ruraux – DETR –  de 100 000 € à 20 000 € le montant des projets soumis à l’avis de la commission d’élus pour plus de transparence dans l’attribution de subventions dans le département.

Pour repenser l’État territorial, l’inspiration est à rechercher autour de la mise en œuvre de quelques grands principes au cœur de l’action publique : la subsidiarité, la différenciation territoriale, la contractualisation, …

Les voies existent pour fluidifier et rendre plus efficace la relation entre un État recentré sur ses missions régaliennes et des collectivités locales librement administrées, dédiées au développement de leur territoire. Les conditions de réussite de cette vision renouvelée de l’État dans les territoires reposent sur une évolution de l’organisation des services déconcentrés, ainsi qu’une politique des moyens (humains, en capacité d’expertise et budgétaires) à la hauteur du défi à relever.

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