Retraites : clap de fin

Après une longue bataille parlementaire accompagnée d’une mobilisation sociale impressionnante, le gouvernement aura donc réussi par ses manœuvres à faire échec à la Proposition de loi d’abrogation de l’article 7 de la réforme des retraites, celui mettant en place le report de l’âge légal de départ à la retraite. Cette longue séquence de 6 mois qui s’achève aura été émaillée de bout en bout par un mépris de l’exécutif ouvertement affiché vis-à-vis du Parlement. Sur la forme, je regrette le climat dans lequel s’est déroulé l’examen de cette loi. Sur le fond, il est évident que je ne partage pas l’objectif de cette réforme, annoncé dès le départ : gagner des marges de manœuvres budgétaires en repoussant l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, et en augmentant le nombre de personnes qui vont devoir cotiser 43 annuités.

Présentée initialement comme une réforme d’équilibre proposant des avancées et notamment un minimum retraite à 1200 euros, les masques sont vite tombés lors des débats et avec eux les promesses qui ne concerneront au final qu’une très faible partie de la population. Pour le reste, cette réforme va contribuer à aggraver les inégalités. Retour sur une réforme qui aura fait l’unanimité contre elle.

Une réforme des retraites injuste qui va aggraver les inégalités

Plus de précarité pour les seniors. Les personnes âgées de 53 à 69 ans sont aujourd’hui près de 1,4 million à ne percevoir ni revenu d’activité ni pension de retraite. Il s’agit en majorité de femmes, moins diplômées ayant par ailleurs connues des carrières hachées. Repousser l’âge de départ à la retraite augmenterait encore le nombre de personnes nécessitant de minima sociaux ou de recours à une pension d’invalidité, qui ne permettent qu’un niveau de vie très faible. De plus, les seniors doivent déjà subir une réduction de la durée des indemnisations chômage imposée par le gouvernement. C’est donc un véritable « laps de précarité » entre l’emploi et la retraite, qui est à craindre pour cette classe d’âge qui retrouve très difficilement un emploi après en être sortie. Cette réforme va donc précariser les plus âgés du monde du travail, tout en pénalisant les plus jeunes. En effet, si les séniors restent en emploi plus longtemps, ils libèrent des postes plus tard, ce qui ne laisse pas de place en bas pour celles et ceux qui sont en recherche d’emploi et pourraient rentrer dans l’entreprise.

Les femmes, sont aussi les grandes perdantes de cette réforme. Actuellement, les pensions de droit direct des femmes sont inférieures de 40% à celles des hommes. Cela s’explique à la fois par des salaires inférieurs à ceux des hommes, la pratique de métiers à temps partiel et par des carrières plus souvent hachées (enfants, congés maternels, etc..). Si on allonge la durée légale de cotisation, il est certain que les femmes seront pénalisées dans la mesure où elles ont pour beaucoup des carrières incomplètes. De même, en 2019, 57% des hommes entre 55 et 64 ans sont en activité, contre seulement 53% des femmes. La question du chômage des séniors qui s’aggrave avec le report de l’âge de départ touche donc plus les femmes. L’impact de la réforme risque donc d’aggraver les inégalités déjà existantes entre les hommes et les femmes.

Jouer avec les peurs, l’arme du gouvernement

Depuis le début, le gouvernement alimente les peurs en faisant croire que si cette réforme n’est pas appliquée, tout le système de retraite par répartition tombera. C’est faux !

Cela impliquera de trouver des solutions de financement plus acceptables par tous pour mieux répartir l’effort demandé. Ainsi, les mesures fiscales prises sous les quinquennats d’Emmanuel Macron ont avant tout bénéficié aux plus riches et aux grandes entreprises : on ne peut pas dire qu’il n’y a pas d’argent tout en privant l’État de ressources fiscales par des mesures qui ne bénéficient qu’à une seule partie de la population.

Par exemple, la suppression de la CVAE a privé l’État de 8 milliards d’euros par an, quand les baisses d’impôts bénéficiant aux plus riches (suppression de l’ISF, flat tax, diminution de l’impôt sur le revenu) ont, elles, amputé de 16 milliards d’euros annuels les recettes.  Qui plus est, l’argument du Gouvernement selon lequel aucune proposition n’a été faite durant les débats est inexact. Avec l’ensemble des sénateurs membre du groupe socialiste et nos collègues députés, nous n’avons eu de cesse de présenter des amendements pour trouver notamment des sources de revenus complémentaires.

Enfin, une méthode brutale qui laissera des traces

S’ils ne sont pas tous des spécialistes de la constitution, les Français ont bien compris que les méthodes brusques et autoritaires utilisées par le Gouvernement pour tordre la procédure législative tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale n’ont qu’un seul objectif : éviter un vote qui était perdu d’avance.

L’article 40 de la constitution empêchant le dépôt d’amendement qui alourdit la charge de l’État n’avait pas de raison d’être utilisé sur la Proposition de Loi abrogeant le report de l’âge de départ à 64 ans ; il ne l’a pas été d’ailleurs sur les textes proposés par la majorité présidentielle à l’assemblée et qui pourtant proposait des charges budgétaires importantes.

Deux poids deux mesures, encore. Exit donc le débat sur des propositions concrètes et responsables, exclue la recherche de compromis, disparu le dialogue social…

Mais ce faisant, c’est une page inédite et brutale qui a été ouverte au risque d’abîmer durablement nos institutions. A l’heure où cette réforme fracture le pays, à l’heure où l’exigence démocratique doit être notre boussole pour éviter que nombre de nos citoyens se détournent des urnes, il est très regrettable que la Présidente de l’Assemblée nationale soit restée sourde en ne choisissant pas la voie de l’apaisement. Car les fortes tensions que nous connaissons peuvent et doivent se résoudre dans un cadre institutionnel respectueux de la délibération… C’est d’ailleurs, ce que demandent les Français qui nous observent.

Le gouvernement souhaite garder le cap, seul contre les organisations syndicales qui se disent prêtes à travailler à une autre réforme, seul contre une immense majorité des français qui ont encore défilé mardi 6 juin, et enfin seul face à un Parlement dont il craint le vote.

Cette situation ne pourra guère perdurer et les débats à venir notamment sur la loi travail ou sur le pouvoir d’achat, nous trouverons à nouveau mobilisés !

N'hésitez pas à partager

Facebook
Twitter
LinkedIn