Pouvoir d’achat : une loi en trompe l’oeil
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Dans un contexte où l’inflation est galopante (+6,1 % sur un an selon l’indice des prix à la consommation de l’INSEE du mois de juillet) un niveau jamais atteint depuis 1985 et plus de deux mois après la date prévue, le gouvernement a présenté début août, deux projets de loi visant à pallier les effets économiques et sociaux de l’inflation galopante : le projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat et le projet de loi de finances rectificatives pour 2022.
Un projet de loi qui porte très mal son nom
Si les sénatrices et sénateurs socialistes ont salué la revalorisation des retraites et des prestations sociales de 4 %, il ne s’agit en réalité que de la seule vraie mesure d’urgence du projet de loi initial du gouvernement, puisqu’elle anticipe les revalorisations de droit commun prévues d’octobre 2022 à avril 2023. Néanmoins, celle-ci ne permettra pas de compenser la perte de pouvoir d’achat subie par les ménages les plus précaires : la pression sur nos CCAS risque donc de s’accentuer dans les mois à venir.
L’essentiel des autres mesures du Titre I, celles par exemple visant à un meilleur partage de la valeur, ne sont qu’incitatives, c’est-à-dire laissées au bon vouloir des entrepreneurs. Certaines d’entre elles revêtent même un caractère exceptionnel et sont donc limitées dans le temps, alors que la composante structurelle de l’inflation ne cesse de s’affirmer et continuera de peser durablement sur le pouvoir d’achat.
Une prime « Macron » et pas d’augmentation de salaire
Si les salariés les plus modestes s’attendent à toucher une « prime dite Macron » de 6.000€, la déconvenue risque d’être lourde. D’abord parce que ladite prime est versée par les employeurs donc discrétionnaire. La prime instaurée à la suite du mouvement des gilets jaunes n’a été perçue que par moins d’un salarié sur cinq et a représenté 540 € par bénéficiaire en moyenne. Le triplement du plafond d’exonérations n’aura aucune incidence sur le nombre de bénéficiaires. Il s’agit donc d’une mesure qui augmentera en réalité les différences de traitement entre les salariés, ne présente aucun fléchage sur les bas salaires et ne constitue, pour les « chanceux » qui la recevront, qu’un coup de pouce ponctuel.
C’est pourquoi, nous avons souhaité avec les autres sénateurs du Groupe Socialiste, Écologiste et Républicain replacer au centre de ses propositions, la revalorisation salariale. Ce que légitimement nos concitoyens réclament c’est de pouvoir vivre dignement de leur travail.
Un « bouclier logement » déconnecté de la réalité du budget des français
Le plafonnement de l’augmentation des loyers limité à 3,5% est une mesure ponctuelle, provisoire et très insuffisante pour protéger le pouvoir d’achat lié au logement qui peut représenter jusqu’à 36% des dépenses des ménages dans le secteur social et 40% dans le secteur privé, alors qu’ils sont déjà confrontés à la hausse des prix de l’énergie, des carburants et de l’alimentation. Avec mon groupe, nous proposions – a minima – de geler le loyer des logements loués à des étudiants sur une année, pour tenter de préserver le pouvoir d’achat qu’il leur reste : refusé à la fois par le gouvernement et la droite sénatoriale !
De plus, la revalorisation des APL de 3,5% est loin de rattraper les baisses réalisées depuis l’été 2017 qui ont fortement fragilisé le pouvoir d’achat des personnes les plus modestes.
Les jeunes restent les grands oubliés
J’ai également regretté l’absence totale, de mesures spécifiques en direction des jeunes, alors qu’ils ont subi de plein fouet la crise liée à l’épidémie de Covid-19 et ses conséquences. Alors que plus d’1,5 million de jeunes vivent en dessous du seuil de pauvreté dans notre pays, leur accorder un droit social élémentaire afin de les accompagner, sans distinction d’âge, vers l’emploi et l’insertion sociale devient urgent. Cela permettrait, enfin, la mise en place d’un filet de sécurité social minimal accessible à l’ensemble des citoyens. C’est pourquoi, nous avons proposé de nouveau, avec mes collègues socialistes, l’instauration d’un « RSA jeunes » pour les 18-25 ans.
La protection des consommateurs en demi-teinte
Le titre II de la loi, relatif à la protection du consommateur propose des mesures qui facilitent la résiliation des contrats ou renforcent la lutte contre les pratiques commerciales trompeuses ou agressives. Ces dispositifs, outre qu’ils n’ont aucun caractère d’urgence, n’auront malheureusement aucun effet immédiat sur l’amélioration du pouvoir d’achat.
Malgré les tentatives de mon groupe pour avoir un débat sur les préoccupations quotidiennes des français, aucune avancée, ni même aucun débat, n’a été possible pour prendre en compte l’inflation des produits alimentaires, les excès du démarchage à domicile, le rôle et l’encadrement de la publicité, ou encore sur la protection des personnes les plus vulnérables et favoriser l’inclusion bancaire ou numérique.


Comment garantir notre souveraineté énergétique ?
Le titre III, composé de plus d’une vingtaine d’articles, soit plus de la moitié du texte du gouvernement, est entièrement consacré au renforcement de notre souveraineté énergétique, dans le contexte de faiblesse de la disponibilité de notre parc nucléaire et de la guerre de la Russie contre l’Ukraine qui fragilise et menace notre sécurité énergétique.
Si les sénatrices et sénateurs socialistes sont favorables aux mesures de sécurisation de notre approvisionnement énergétique, nous avons néanmoins pointé les dysfonctionnements du marché énergétique européen qui, surréagissant aux tensions internationales, favorisent l’envolée des prix énergétiques et par la même occasion les surprofits des grandes entreprises du secteur.
L’électricité est un bien de première nécessité et tous les consommateurs doivent pouvoir bénéficier de prix abordables évitant aux ménages les plus faibles de basculer dans la précarité énergétique. Les prix doivent être également suffisamment stables, prévisibles et reflétant les coûts de production de long terme, pour assurer la compétitivité de nos entreprises et protéger le budget des collectivités territoriales et celui de tous les acteurs du secteur public (hôpitaux, écoles…).
Une meilleure maîtrise de notre politique tarifaire de l’électricité passe également par une consolidation d’EDF, qui constitue le patrimoine des Français et dont la situation financière déjà fragile s’est accrue en participant financièrement au bouclier tarifaire mis en place par le gouvernent. Il est d’autant plus saisissant que le gouvernement refuse de taxer ces grands groupes pétroliers, alors que ces derniers engrangent donc, avec la crise, des super profits.
Un financement qui ne sera assumé que par la sécurité sociale
Qu’il s’agisse des primes ou de l’épargne salariale, le gouvernement a fait le choix de faire supporter le coût de ces mesures sur le budget de la sécurité sociale. Rappelons, à cet égard, que celle-ci a déjà été mise à contribution pour prendre en charge l’ensemble de la dette covid-19, dont l’essentiel relevait pourtant de décisions politiques et non d’un déficit structurel de notre protection sociale. 0r, aujourd’hui, le gouvernement fait de nouveau le choix d’aggraver la situation de nos comptes sociaux, sans jamais poser la question de leurs recettes.
C’est pourquoi nous avons défendu une socialisation de ces primes, et à défaut leur financement par une taxation des superprofits de crise des grands groupes tels que Total. (Pour en savoir plus, c’est ici). Alors que Total annonce 19 milliards de bénéfices sur le seul 1er semestre 2022 du simple fait des tensions d’approvisionnement énergétiques, et que l’entreprise n’a pas payé d’impôt dans notre pays en 2021 malgré ses 16 milliards de bénéfice l’an passé, le gouvernement se refuse à l’obliger à participer à la solidarité nationale.
Un budget marqué par une vision libérale de l’économie
Parce que la défense du pouvoir d’achat de nos concitoyens les plus modestes nécessite de dégager des ressources financières, les sénatrices et sénateurs ont proposé l’instauration d’un ISF climatique, l’annulation (éventuellement temporaire) de la baisse des impôts de production et la mise en place d’une taxe sur les surprofits dans les secteurs de l’énergie et des transports, qui ont connu du fait de la conjoncture internationale des bénéfices records ces derniers mois.
Aucune de ces mesures n’a été adoptée et le gouvernement a même réduit de 3,2 milliards les recettes fiscales de l’État en supprimant la contribution audiovisuelle publique risquant ainsi la remise en cause de l’indépendance de l’audiovisuel public.
De plus, le gouvernement et la majorité sénatoriale ont à nouveau refusé toute évolution en faveur d’une conditionnalisation écologique et sociale des aides publiques, décision d’autant plus choquante que les entreprises massivement aidées durant la crise sont souvent celles qui dégagent aujourd’hui des bénéfices exceptionnels sans avoir fait évoluer leur politique salariale et environnementale.
Enfin, dans la droite ligne de la stratégie de la droite sénatoriale à l’occasion de l’examen du projet de loi « pouvoir d’achat », ce PLFR a été une occasion pour la droite, aidée par le gouvernement, de fragiliser le droit du travail, par le biais d’un détricotage organisé de la durée légale du temps de travail. Ainsi, tant la monétisation des RTT que la hausse du plafond de défiscalisation des heures supplémentaires remettent en cause de manière conséquente le principe même des 35 heures.
Seul point positif issu de l’examen de ce PLFR, le vote, à l’initiative des socialistes, d’un mécanisme de soutien aux communes et groupements de communes confrontés à la flambée de leurs charges (Pour en savoir plus, c’est ici).
Malgré la mesure votée en matière de compensation des collectivités territoriales, au vu des graves reculs en matière de droit du travail, du refus réitéré de la taxation des superprofits des grands groupes, mes collègues socialistes et moi-même avons voté contre le budget rectificatif pour 2022 qui nous était présenté.
En revanche, considérant que l’apport du Parlement au projet de loi pouvoir d’achat, avec l’introduction de la « déconjugalisation » de l’AAH dans le texte via un amendement consensuel de tous les groupes parlementaires, était une victoire attendue (depuis trop longtemps) par les personnes porteuses d’un handicap vivant en couple, je me suis abstenu ainsi que mes collègues du Groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sur le texte final.
De mon côté, je serai vigilant à ce que ces toutes annonces se concrétisent et ne restent pas lettre morte pour nos concitoyens, tant la question du pouvoir d’achat et du coût de l’énergie dans nos département ruraux prend une dimension considérable. Après des mois de tergiversations, il est temps d’agir !