Pornographie : mieux protéger les mineurs et mieux protéger les actrices

Violences systémiques envers les femmes, exploitation de leur précarité économique et sociale, actes de tortures et de barbarie, la presse s’est récemment fait l’écho de graves dérives dans le milieu pornographique et les affaires judiciaires en cours en France en témoignent. Ces révélations ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Le porno édulcoré d’hier laisse la place aujourd’hui à des contenus dégradants et humiliants, avec des demandes de vidéos de plus en plus extrême, et des scènes chocs.

Une massification de la diffusion du porno

La pornographie n’a rien d’un phénomène nouveau. Les revues ou cinémas spécialisés existent depuis longtemps mais aujourd’hui, les réseaux sociaux et internet et particulièrement les plateformes de partage ont ouvert en grand les portes et facilité considérablement l’accès à ces contenus à caractère sexuel. Ainsi, la pornographie fait désormais l’objet d’une consommation de masse. En effet, on compte plus de 20 millions de visiteurs uniques par mois en France qui fréquentent des sites pornographiques dont plus de 250 sites ont une audience supérieure à 200 000 visiteurs uniques (en juillet 2019).

Un sondage d’OpinionWay de 2018 réalisé auprès de jeunes de 18 à 30 ans fait ressortir que 75% de jeunes hommes et 20% de jeunes femmes déclarent regarder des vidéos pornographiques au moins une fois par semaine. Selon le même institut, une étude menée à l’été 2020 auprès de 250 mineurs franciliens âgés de 15 à 17 ans, fait ressortir que 46 % d’entre eux ont déjà accédé à du contenu porno, dont 53 % des garçons, et 27 % en regardent régulièrement.

Une recherche de profit à tout prix

Internet a vite représenté une opportunité pour les grandes entreprises du secteur, qui, boostées par les avancées technologiques, les plateformes, les réseaux sociaux comme Twitter ou Instagram, ou d’autres sites, comme Onlyfans ont réussi à se façonner un modèle économique totalement nouveau basé sur la recherche de profit à tout prix.

Ainsi, l’industrie est devenue aveugle au contenu diffusé sur les sites de streaming de vidéos X et a encouragé la production de contenus de plus en plus violents, véhiculant des stéréotypes racistes, sexistes, homophobes et lesbophobes.

Lors de son audition le 20 janvier 2022 par la délégation, Claire Charlès, porte-parole de l’association Les Effronté.es, a fait part aux rapporteures de « véritables actes de torture, de violence inouïe, dans une recherche de déshumanisation, pas du tout de liberté sexuelle comme le prétendent les défenseurs de cette industrie. »

Aujourd’hui, la pornographie est devenue une industrie mondialisée drainant plusieurs milliards d’euros de profit chaque année, dans des conditions souvent opaques. Elle représente plus d’un quart de tout le trafic vidéo internet dans le monde.

Lors de son audition le 20 janvier 2022 par la délégation, Claire Charlès, porte-parole de l’association Les Effronté.es, a fait part aux rapporteures de

« véritables actes de torture, de violence inouïe, dans une recherche de déshumanisation, pas du tout de liberté sexuelle comme le prétendent les défenseurs de cette industrie. »

Aujourd’hui, la pornographie est devenue une industrie mondialisée drainant plusieurs milliards d’euros de profit chaque année, dans des conditions souvent opaques. Elle représente plus d’un quart de tout le trafic vidéo internet dans le monde.

Un constat inquiétant chez les jeunes

Internet est le sésame du savoir et de l’ouverture sur le monde pour les jeunes générations. Nous avions abordé ce thème en mars dernier dans notre article consacré au contrôle parental sur internet (cliquez ici ) dans lequel nous indiquions que les usages et pratiques étaient de plus en plus précoces et que le contrôle parental était sous-utilisé par les adultes.

Difficile alors dans ce contexte, où les jeunes disposent d’un smartphone de plus en plus tôt et sont connectés en permanence, de protéger les mineurs de tels contenus.

Si on constate une régulation relativement stricte imposée par le CSA sur les contenus diffusés au cinéma et dans les médias audiovisuels ( diffusion uniquement sur certaines chaînes, entre minuit et cinq heures du matin, avec un système de verrouillage) force est de constater qu’il n’en est pas de même sur internet et sur les réseaux sociaux où aucun contrôle concernant l’âge de l’utilisateur n’est effectué puisque c’est le principe de l’auto déclaration qui domine : « Je certifie avoir 18 ans » !

Ainsi, le porno, y compris le porno le plus extrême, est accessible à toutes et tous en ligne, gratuitement et en quelques clics sans aucune barrière ni garde-fou. Ainsi, deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers de ceux de moins de 12 ans ont déjà été exposés à des images pornographiques que ce soit volontairement ou involontairement. Chaque mois, près d’un tiers des garçons de moins de 15 ans se rend sur un site porno.

Aujourd’hui, on assiste à une consommation massive chez les plus jeunes, en violation totale du code pénal qui réprime toute diffusion de contenu pornographique susceptible d’être vu ou perçu par un mineur (Article 227-24 du code pénal*).

*Article 227-24
Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique, y compris des images pornographiques impliquant un ou plusieurs animaux, ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur.

Le rapport choc du Sénat, "Porno : l'enfer du décor"

Inquiété par l’ampleur du phénomène et ses conséquences tant sur les actrices que sur les plus jeunes, la délégation aux droits des femmes du Sénat, s’est saisie de ce sujet.

Durant plus de 6 mois, les quatre rapporteures dont ma collègue Laurence Rossignol, vice-présidente du Sénat, sénatrice Socialiste de l’Oise, et ancienne ministre des Droits des femmes, ont réalisé de nombreuses auditions d’acteurs, d’actrices, de victimes, de professionnels de la santé et de l’enfance, de sociologues, d’associations. Elles ont recueilli des données chiffrées et analysé les contenus en ligne. Ainsi, elles ont dressé un constat minutieux qui a donné lieu à un rapport rendu public fin septembre.

Leurs travaux ont fait ressortir une situation alarmante conduisant la délégation à estimer que la lutte contre les “violences systémiques envers les femmes” générées par l’industrie pornographique devait devenir une “priorité de politique publique et pénale”.

Un appel à une prise de conscience face à l’ampleur du phénomène

Au vu de ces constats et de l’omerta qui entoure ce milieu, les co-auteures du rapport appellent à une prise de conscience de toutes et de tous sur ce système de violences et à mettre un terme au déni et à la complaisance dont bénéficie encore l’industrie pornographique.

La délégation invite à engager un débat public sur les pratiques de cette industrie et sur son existence même pour protéger les actrices mais aussi les mineurs car la pornographie a un impact sur la façon dont les adolescents et les jeunes adultes abordent leur entrée dans la sexualité. En effet, malheureusement encore aujourd’hui, parler sexualité au sein du cercle familial reste un sujet tabou. Ainsi, la pornographie constitue pour les mineurs leur première voire seule référence de ce que peuvent être des rapports sexuels et banalisent les actes de violence sexuelle, ce qui est dramatique.

Face à ce sombre tableau, la délégation a formulé 23 recommandations qui s’articulent autour de quatre grands axes :

Par ailleurs elle préconise de mettre réellement en œuvre dans les établissements scolaires la loi Aubry de 2001 relative à l’éducation sexuelle. Cette loi prévoit qu’une éducation à la sexualité soit dispensée dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles. Tout comme il est aussi indispensable de sensibiliser les familles à activer un contrôle parental sur les smartphones, tablettes et ordinateurs.

Elle demande également le renforcement des pouvoirs de l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, ancien CSA) pour imposer des amendes dissuasives aux sites pornographiques accessibles aux mineurs.

Gageons que ce rapport alimentera les travaux d’autres instances qui seront menés dans le cadre de la justice, de l’intérieur, de la culture, du numérique et de la protection de l’enfance. Nous devons y veiller et y participer sans attendre.

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