Hôpital : sortir des urgences

Postes vacants imposant des fermetures de lits, départs en cours de carrière, difficultés de recrutement : ce sont là autant de signes d’un malaise hospitalier qui ne date pas d’hier mais qui ont été accentués par deux ans de crise sanitaire. Et l’Ariège n’échappe malheureusement à cette triste réalité.

Face à ce désarroi exprimé massivement par tous les acteurs de l’hôpital, le Sénat a décidé de constituer une commission d’enquête présidée par Bertrand Jomier, médecin et sénateur socialiste, écologiste et républicain. L’objectif poursuivi ? Dresser un état des lieux le plus précis possible de la situation de l’hôpital et du système de santé en France.

 Au total, près d’une centaine de personnalités ont été entendues par la commission et les auditions de soignants ont été particulièrement marquantes, pour saisir la profondeur du mal-être et de la fatigue accumulée. À l’issue de près de quatre mois de travaux, les membres de la commission d’enquête viennent de rendre leur rapport. Les préconisations sont claires : il nous faut redonner du souffle à l’hôpital en lui laissant davantage de liberté et d’autonomie dans son organisation, en lui attribuant des moyens proportionnés aux défis de santé actuels et en redéfinissant sa place au sein du système de soins.

Le défi majeur : s’attaquer d’abord au « malaise des soignants »

Le constat est connu : les salaires des soignants restent très faibles. De plus, le fonctionnement de l’hôpital repose encore trop souvent sur la bonne volonté des personnels, qui perçoivent parfois leur activité comme un « sacrifice ».

 Lancées au lendemain de la première vague de covid-19 qui avait singulièrement mis à l’épreuve les hôpitaux et leur personnel soignant, les concertations du « Ségur de la santé » ont conduit à des revalorisations salariales qu’on ne peut nier. Déjà prévues, pour certaines, en réaction au mouvement social de la fin 2019, elles sont pourtant apparues comme trop tardives au regard de l’ancienneté de la crise de l’hôpital.

Le saupoudrage de ces mesures au fil des années 2020 à 2022 et leur extension sans réflexion d’ensemble et par à-coups aux « oubliés du Ségur » ont généré une amertume qui ne tarit pas. Des insatisfactions demeurent sur le champ des bénéficiaires et certains personnels.

Au final, il ressort des auditions qui ont été menées que les conditions de travail se dégradent et constituent une spirale négative qui renforce le sentiment de perte de sens éprouvé par les personnels soignants. Le manque d’effectif chronique entraine, de plus, une charge de travail excessive mais surtout un manque de temps médical et soignant auprès des patients. La question des formations a été pointée également car elles aboutissent souvent à des abandons en cours d’année.

Face au sentiment de perte de sens, largement exprimé par les personnels, il est nécessaire de remettre la question du soin au cœur des métiers hospitaliers qui s’en sont trop éloignés faute de disponibilité suffisante pour s’y consacrer. Il est donc prioritaire de redynamiser la politique de qualité de vie au travail, de garantir une reconnaissance financière équitable et adaptée aux contraintes de ce travail, et d’alléger la charge administrative des soignants en développant des outils numériques plus performants.  Il sera nécessaire de renforcer significativement le nombre d’infirmiers et d’aides-soignants et de revoir la sélection et les maquettes de formation des élèves infirmiers et renforcer la formation continue.

Redonner des perspectives à « l’hôpital a bout de souffle »

Il s’agit là d’appréhender les problèmes essentiellement financiers et économiques qui minent le secteur hospitalier. Ainsi, le modèle de financement actuel n’est plus adapté à la situation de l’hôpital ou aux défis des prises en charge plus complexes. La question du niveau de l’Ondam (Objectif National de Dépenses d’Assurance Maladie) pose de nombreux problèmes et devrait mieux être adaptée chaque année aux évolutions des besoins et dépenses du système de santé. Il faut ainsi en finir avec les problèmes structurels de financement qui montrent notamment que l’investissement hospitalier a été divisé par deux en 10 ans se soldant souvent par un endettement important.               

Tous les observateurs ont également insisté sur des efforts importants à fournir en matière de gouvernance : il faut médicaliser la gouvernance en revivifiant le rôle des représentants des praticiens et personnels paramédicaux dans les instances de gouvernance.

Dernier axe, mettre un terme à « l’engorgement de l’hôpital »

La situation ne cesse de s’aggraver dans nos hôpitaux et constitue un défi immense à relever. La saturation des services des urgences tient en partie aux difficultés de la médecine de ville à faire face à l’augmentation des besoins de santé de la population dans un contexte de désertification médicale de plus en plus pesant. Ainsi, et nous y sommes confrontés chaque jour en Ariège, au cours de ces dernières années, l’accès aux soins primaires s’est dégradé et la part de la population vivant dans des zones sous-dotées en médecins généralistes est passée ne cesse d’augmenter. Quant aux effets de la suppression du numerus clausus, ils ne se feront sentir au mieux qu’à partir du début de la décennie 2030, sans garantie de répartition équitable sur le territoire.

Il faut donc dès aujourd’hui « desserrer l’étau », gérer la saturation des services des urgences en innovant en termes d’alternatives à l’hospitalisation qui sont encore beaucoup trop faibles.

Pour ce faire, la commission préconise notamment la mise en place d’une quatrième année d’internat qui se déroulerait en priorité dans ces zones afin de libérer du temps médical en ville. D’autres pistes d’action peuvent être avancées et en premier lieu, le rééquilibrage de la répartition de la prise en charge entre ville et hôpital et le soulagement des services d’urgence par une meilleure collaboration avec les professionnels de ville.

S’il est indispensable de mieux répondre aux besoins de santé en amont de l’hôpital, tout indique que la pression sur celui-ci va demeurer forte : le nombre de passages aux urgences est passé de 10,1 millions en 1992 à 21,2 millions en 2019. La commission d’enquête a sur ce point fait un certain nombre de proposition comme le développement des maisons médicales de garde à proximité des services d’urgence et l’expérimentation de consultations par un cabinet médical au sein même de ces services. Ce sont autant d’outils qui pourraient contribuer au désengorgement des urgences hospitalières.

L’aval des urgences doit également être pris en compte : il est fréquent que le besoin de lits en aval ne soit pas anticipé, allongeant le temps d’attente avant hospitalisation : les cellules de gestion des lits apparaissent être une solution efficace.

Les cellules de coordination ville-hôpital ont aussi un rôle important à jouer, en organisant des filières d’admission directe des patients sans passage par les urgences et en préparant leur sortie d’hospitalisation en lien avec le médecin traitant. Enfin, les alternatives à l’hospitalisation doivent encore être développées et en particulier le recours à l’hospitalisation à domicile.

C’est donc un travail de grande ampleur qui a été menée par cette commission d’enquête et qu’il convient de saluer. Espérons que le nouveau gouvernement ne tarde pas à se saisir de ces alertes et préconisations pour qu’elles soient suivies rapidement d’effets législatifs et réglementaires.

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