Fusillés pour l’exemple : refermer une plaie toujours ouverte

La proposition de loi visant à réhabiliter les militaires « fusillés pour l’exemple » durant la Première Guerre mondiale est arrivée au Sénat la semaine dernière. Déjà adoptée par l’Assemblée nationale en janvier 2022, elle vise à réhabiliter les militaires condamnés à mort et fusillés pendant la Première Guerre mondiale pour désobéissance militaire.

Une loi mémorielle qui revient sur une page douloureuse de notre histoire

Cette proposition de loi porte sur trois points : une réhabilitation collective et générale des 639 fusillés recensés en 2014 par le ministère de la défense, condamnés et exécutés pour désobéissance militaire ainsi que l’inscription de ces 639 personnes sur les monuments aux morts des communes. Enfin, elle demande qu’un monument national en mémoire de ces 639 soldats soit érigé.

Les « fusillés pour l’exemple » visés par la proposition de loi sont des militaires condamnés à mort par un conseil de guerre en vertu des dispositions du code de justice militaire de 1857 alors applicables, et selon les modalités prévues par des décrets pris en 1914 pour faciliter et accélérer les procédures.

Il convient de distinguer les « fusillés » des « mutins ». En effet, la plupart des fusillés l’ont été en 1914 et 1915, tandis que les grandes mutineries de l’armée française ont eu lieu en mai-juin 1917. Le seul mois d’octobre 1914 concentre environ une sur dix de l’ensemble des quelques 600 exécutions après jugement de la guerre. En revanche, parmi les 40 000 à 80 000 mutins de 1917, une trentaine seulement a été fusillée. Il existe donc des mutins parmi les fusillés, mais cela ne constitue qu’une faible partie de l’ensemble.

Cette situation paradoxale est due en partie à la réforme des conseils de guerre intervenue en 1916, à la suite d’une prise de conscience des abus commis sous l’empire des décrets de 1914 qui avaient supprimé les droits de la défense pour les militaires accusés de désobéissance. Selon le rapport du groupe de travail dirigé par l’historien Antoine Prost en 2013, environ 740 militaires ont été fusillés durant la Première Guerre mondiale, dont 600 à 650 pour des faits relevant de la désobéissance militaire. Le 27 octobre 2014, le Ministère des Armées a communiqué les résultats suivants : 639 personnes ont été fusillées pour désobéissance militaire ; 141 personnes pour des faits de droit commun ; 126 pour espionnage. Ce texte propose donc de réhabiliter les 639 fusillés pour désobéissance militaire. Logiquement, elle ne concerne pas, en revanche, les 141 fusillés pour des faits de droit commun, ni les 126 fusillés pour des faits d’espionnage.

Pourquoi cette loi de réhabilitation ?

Les auteurs de la proposition de loi considèrent que ces militaires ont été fusillés « pour l’exemple » à la suite d’une procédure expéditive et inéquitable. Parmi ces hommes, certains n’avaient eu qu’une défaillance passagère aisément explicable dans le contexte des combats terribles qui ont marqué le conflit, tandis que d’autres ont été victimes d’erreurs judiciaires pures et simples. Il s’agit donc de réhabiliter 639 fusillés pour désobéissance militaire.

Face à l’impossibilité de rouvrir des procès pour des faits datant de plus d’un siècle, la réhabilitation ne peut être que politique et collective. Elle ne peut plus être aujourd’hui, judiciaire et individuelle. C’est pourquoi, il revenait aux parlementaires d’acter cette réhabilitation, et c’est la position que j’ai défendu avec mes collègues du groupe socialistes pendant les débats sur ce texte.

Pour ma part, je considère que contrairement aux craintes parfois exprimées, cette proposition de loi ne divise pas, mais au contraire rassemble la Nation, car le souvenir des injustices commises à l’encontre de ces fusillés est encore, plus de cent ans après, très vif, et leurs familles encore marquées par ces événements qui « ne passent pas ». Elle parachève ainsi la reconnaissance esquissée par Lionel Jospin, Nicolas Sarkozy puis François Hollande et clôt un chapitre douloureux de notre histoire.

Une droite sénatoriale opposée au devoir de mémoire

Malheureusement, nos voix n’ont pas été entendues et la majorité sénatoriale a campé sur une position bien regrettable. Elle a en effet estimé que cette loi ne permettrait pas de clore définitivement le chapitre des « Fusillés pour l’exemple », et qu’il était préférable d’en rester au travail historique et judiciaire déjà accompli sur cette question, ainsi qu’aux déclarations déjà faites par les responsables politiques, plutôt que de rouvrir ce dossier douloureux. Elle a également considéré qu’adopter cette proposition de loi conduirait à réévaluer des événements intervenus il y a plus d’un siècle avec des critères et des sentiments d’aujourd’hui, ce qui ne lui a pas semblé pertinent.

Je ne partage évidemment pas cet avis étant entendu qu’il ne s’agit pas là de faire le procès des armées, ni de la France d’alors, ni même de tenter ou de réécrire l’histoire. Il ne s’agit pas, non plus, de réhabiliter des déserteurs ou des traîtres mais seulement de rendre leur honneur à des militaires, des poilus, dépassés et traumatisés par la violence des combats et qui ont subi une justice expéditive, pour l’exemple. Cela est plutôt étonnant par ailleurs car la droite sénatoriale ne s’est pas tenue à cette ligne de conduite quand il s’est agit de reconnaître des faits historiques qui ne concernent pas notre pays, comme la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens de 1915-1918, dont la proposition de résolution a été adoptée par le Sénat le 8 février dernier.

Plus d’un siècle après, nous considérons qu’il est plus que temps de refermer cette page de notre histoire. Nous devons regarder avec lucidité, mais aussi courage ces événements douloureux et rendre leur honneur à ces poilus, à leurs familles, à leurs descendants.

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