Commission d’enquête sur l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique
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Alors que les politiques énergies climats devront inclure des objectifs de sobriété, la question de la rénovation énergétique est essentielle. Membre de la commission d’enquête sur l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, j’ai travaillé avec d’autres collègues sénateurs pendant 6 mois afin de d’analyser les difficultés rencontrées et de proposer des solutions adaptées.
Quels sont les enjeux de la rénovation énergétique ?
Constituée mi-janvier 2023 à la demande de nos collègues du groupe écologiste – solidarité et territoires, cette commission a entendu 174 personnes au cours de 21 réunions plénières et plus de 66 heures d’auditions. Son objectif : chercher des solutions concrètes et ancrées dans les territoires en se plaçant à l’écoute des professionnels de terrain et des citoyens.
D’abord un constat s’est imposé : la France compte environ 37 millions de logements dont plus de 80 % sont des résidences principales. 5,2 millions (17 %) sont classées F et G. Deux tiers du parc sont donc concernés par la rénovation énergétique. Ce résultat médiocre doit être analysé pour répondre aux défis qui nous attendent. La commission d’enquête, a pointé de son côté un certain nombre de retard et dysfonctionnements. Ainsi, le dispositif MaPrimeRenov’ est loin de faire ses preuves.
En 2015, en s’appuyant sur l’accord de Paris, la France s’engageait à rénover 300 000 logements par an. Cet objectif a par la suite été revu à la hausse. L’État compte désormais rénover près de 370 000 logements chaque année pour atteindre 700 000 à partir de 2031. Ces chiffres sont loin d’être atteints : selon les dernières statistiques disponibles, le dispositif MaPrimeRenov’ n’accompagne que 50 000 à 100 000 projets de rénovation énergétique chaque année.
- Le premier enjeu est écologique : il nous faut limiter le réchauffement climatique et parvenir à la neutralité carbone en 2050. À cet égard, le bâtiment représente 48 % de la consommation nationale d’énergie et 28 % des émissions de gaz à effet de serre. Le logement en constitue les deux tiers. Il faut donc agir autant dans le domaine de la décarbonation que dans celui de la sobriété puisqu’il faudra faire face au besoin supplémentaire d’électricité.
- Le second enjeu est social et sanitaire. Environ 5,6 millions de ménages souffrent de précarité énergétique, c’est-à-dire peinent à faire face à leurs factures ou sont contraints de réduire leur consommation. Cette situation a un impact direct sur la santé. Cela pourrait même accroître de 50 % les risques de maladie. Cette réalité a été aggravée par la crise récente sur les prix de l’énergie.
- Le troisième enjeu est, lui, économique et industriel. Il est essentiel pour notre pays que les dépenses considérables de rénovation en matériaux ou en équipements ne se traduisent pas par des importations mais contribuent à créer une véritable filière industrielle. Ainsi, la demande de pompes à chaleur s’est fortement accélérée avec les aides publiques. Mais la proportion fabriquée en France n’est pas satisfaisante.
Une instabilité et complexité qui nuisent à la dynamique
Au cours de la plupart des auditions, l’absence de constance dans la politique énergétique de la France est revenue comme l’un des facteurs principaux d’attentisme et de confusion. Il y a eu des changements de pied brutaux, comme l’abandon du crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) et la création de MaPrimeRénov’ tournée vers les ménages modestes, même si la réforme a été in fine positive.
À l’intérieur du dispositif MaPrimeRénov’, le détail et les conditions des aides changent tous les ans et parfois plus vite encore. Il en est de même pour accéder aux certificats d’économie d’énergie, les CEE. Autre exemple, le service d’accompagnement des particuliers à la rénovation a changé cinq fois de nom et deux fois de mode de financement dans les années récentes.
Des freins qui persistent…
La difficulté vient également du fait que ces travaux coûtent cher aux propriétaires, plusieurs dizaines de milliers d’euros par appartement pour une rénovation globale. Le reste à charge est élevé et très long à rentabiliser. Pour les plus modestes, il peut être supérieur à 30 % et représenter une demi-année voire une année entière de revenu, ce qui n’est pas supportable. Ce qui explique que les rénovations sont la plupart du temps partielles, et ne couvre pas l’ensemble des besoins réels.
Enfin, autre difficulté relevée pendant nos auditions, la question des fraudes. En effet, ce domaine est propice aux escroqueries et démarchages abusifs, y compris téléphonique, de prétendus conseillers France Rénov’ ou de fausses entreprises RGE.. De fait, la DGCCRF a indiqué que plus de 10 000 plaintes avaient été déposées. Selon UFC que Choisir, ces fraudes sont dirigées contre les publics les plus fragiles. Il est donc nécessaire de mettre en place des garde-fous du type interdiction sectorielle pour contrer ces phénomènes.
Quelles pistes pour "booster" la rénovation énergétique ?
Pour relever le défi de l’accélération de la rénovation énergétique, la France a besoin d’une stratégie claire qui n’ait pas pour seul objectif de décarboner, mais aussi de rénover réellement, afin d’éliminer les passoires et la précarité énergétique. Il nous faut donc garder un mix énergétique équilibré, ouvert à plusieurs énergies et plusieurs technologies. La géothermie, les réseaux de chaleur et la biomasse doivent pouvoir se développer. De même, alors que 40 % des Français et 60 % des logements sociaux sont chauffés au gaz, il semble déraisonnable d’envisager une interdiction à court terme.
Le deuxième point important est de favoriser systématiquement les rénovations efficaces, dans un parcours accompagné et cohérent, pour conduire à une rénovation globale. Pour ce faire, il faut éviter les rénovations partielles, en confortant l’objectif de tendre, par des aides appropriées, vers un reste à charge minimal et cohérent avec le revenu des ménages. Ce sont là les conditions d’une transition énergétique juste.
Enfin, et je suis particulièrement sensible à cette question, les collectivités locales doivent revenir au cœur du dispositif, notamment pour réussir l’accompagnement des ménages. Il est important de s’appuyer sur les dynamiques et expérimentations locales et tous les dispositifs déjà en place qui fonctionnent. Mon Accompagnateur Rénov’ ne doit pas renouveler l’erreur des dispositifs CEE ou de MaPrimeRénov’ entièrement dématérialisés et gérés depuis Paris. Les collectivités locales doivent être le point d’entrée de l’information et de l’accompagnement, et le lieu où pourront se formaliser et s’agréger les demandes d’aides. Ces réseaux locaux devraient ainsi s’articuler avec les entreprises du territoire qui doivent retrouver toute leur place dans la rénovation.
Aujourd’hui, la rénovation se fait largement sans les entreprises artisanales. Il faut y remédier !
Au final, même si la France affiche une forte ambition en la matière, force est de constater qu’elle échoue, pour le moment à atteindre ses objectifs. Pourtant, des moyens significatifs ont été déployés, plusieurs milliards sont consacrés chaque année aux divers dispositifs. Au-delà de la question financière, ce sont les outils eux-mêmes qui suscitent l’interrogation. De nombreux efforts restent à fournir, donc, mais l’enjeu est essentiel et doit tous nous mobiliser !