Souveraineté alimentaire de l’UE : Répondre à la crise sans tirer un trait sur nos ambitions environnementales !
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A la suite du choc mondial causé par le conflit en Ukraine, la commission des affaires économiques du Sénat à laquelle j’appartiens, a décidé de procéder à différentes auditions d’experts afin de mieux appréhender et analyser les phénomènes à l’œuvre pour le monde agricole en France et en Europe. Difficultés d’approvisionnement, troubles sur les marchés commerciaux, pénuries à venir, aides financières européennes et nationales, les conséquences à venir sont nombreuses et concernent directement notre pays et notre croissance.
Comment l’impact du conflit exacerbe les enjeux de sécurité alimentaire ?
La guerre contre l’Ukraine a de lourdes conséquences sur la volatilité des prix des denrées alimentaires et vient déstabiliser les marchés mondiaux. Le risque d’une pénurie dans plusieurs régions du monde est quasi certaine. En effet, la Russie est le premier exportateur mondial de blé, et l’Ukraine est le cinquième. À eux deux, ils représentent un quart du commerce mondial et sont appelés le « grenier à blé de la Méditerranée ». Rien d’étonnant quand on comprend que l’agriculture a été utilisée comme un élément de souveraineté important pour ces deux pays sur la scène internationale. Les céréales russes tout comme le gaz font partie des ressources stratégiques que Moscou a su promouvoir diplomatiquement.
Pour ce qui est de l’Ukraine, sa capacité productive est considérable et représente aujourd’hui 110 millions de tonnes de production annuelle. L’Ukraine représente en part de marché sur la scène internationale 10 à 12% du blé, 15 à 20 % du maïs, 20 à 25% de l’orge et du colza, ainsi que 50% à 60% des exportations mondiales d’huile et tourteaux de tournesol. L’arrêt de l’exportation de ces denrées produit mécaniquement une envolée importante des cours à l’international. La tonne de blé était à 275 euros le 1er janvier. Elle est aujourd’hui à 385 euros ce qui fait craindre une crise alimentaire mondiale.
De plus, si l’Ukraine n’est pas en mesure de faire les semis au printemps, la guerre pourrait provoquer dans 12 à 18 mois « une famine inéluctable », avec notamment des risques de pénuries de céréales au Proche- et au Moyen-Orient ou en Afrique. Des pays, comme la Tunisie, sont également fortement touchés et l’augmentation du prix du pain, ne manque pas de provoquer des émeutes sur fond de revendications sociales.
La sécurité alimentaire des Européens est-elle remise en cause ?
Les exportations agricoles de l’Union européenne en direction des trois pays acteurs du conflit – la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine – s’élèvent à 10,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires, et les importations à 8 milliards d’euros. Au total, cela représente près de 6 % de l’échange commercial de l’Union européenne. Certes ces chiffres sont importants, mais ils ne devraient pas avoir de répercussions décisives sur la situation de l’agriculture et de la sécurité alimentaire en Europe.
L’impact du conflit pour la France se situe principalement à deux niveaux : les menaces sur les approvisionnements français en énergie, engrais et tourteaux de tournesol notamment (le tourteau est un coproduit d’extraction de l’huile à partir des graines de tournesol très utilisé pour l’alimentation animale, particulièrement pour les ruminants et les lapins), et l’accentuation des hausses de coûts de production, déjà engagées fin 2021 avec la reprise économique mondiale post-épidémie de Covid-19.
La France de son côté est le 4ème exportateur mondial de blé. Les grands producteurs et négociants céréaliers français, conscients de l’enjeu de la disponibilité des céréales (blé, maïs…) indispensables à la nourriture humaine et animale demandent une hausse de la production céréalière dans nos campagnes dès les prochains semis.
Il ne s’agit pas de satisfaire aux besoins de la France puisqu’elle est autosuffisante en céréales et exporte la moitié de sa production (55 à 60 millions de tonnes par an). L’objectif est de répondre à la demande d’autres pays d’Europe et d’Afrique du Nord fortement dépendants des importations russes et ukrainiennes. En creux, l’enjeu des parts de marché des producteurs français est d’ores est déjà en train de se jouer face aux autres grands pays producteurs comme les États-Unis et le Canada qui se préparent à augmenter leur production. Les céréaliers français demandent donc à s’affranchir de règles environnementales pour produire plus et vendre davantage.
Dans l’immédiat, il est possible d’ouvrir les greniers européens afin d’éviter que les prix ne grimpent trop. Mais la hausse des tarifs des hydrocarbures devrait encore se répercuter sur les prix des céréales dans les mois à venir, puisque la production d’engrais demande de l’énergie, désormais plus chère.
Souveraineté alimentaire : la fin des jachères ?
Conscient des troubles que l’envolée des coûts pourrait engendrer, les pays membres de l’UE et du G7 ont de leur côté décidé d’avancer vite sur ces questions. Réunis le 23 mars dernier, ils ont annoncé un plan « d’urgence pour la sécurité alimentaire mondiale et la production de céréales ».
Cette initiative européenne, pilotée par la France qui préside l’UE devrait ainsi s’appuyer sur le secteur privé et être fondée sur trois piliers :
- Débloquer des stocks en cas de crise, pour éviter toute situation de pénurie et modérer les hausses de prix
- Ne pas imposer de restrictions à l'export des matières premières agricoles
- Et mettre en place des mesures de solidarité, avec une action coordonnée des pays producteurs pour relever temporairement les seuils de production lorsque cela est possible et sans compromettre les objectifs de durabilité, et un principe d'allocation des volumes additionnels, pour garantir un accès de tous, en particulier aux plus vulnérables, en quantité suffisante et à prix raisonnable.
Fait majeur, ce plan prévoit donc la possibilité à titre exceptionnel pour 2022, de cultiver les jachères par toute culture. Cette dérogation devrait ne s’appliquer que pour l’année 2022, et ne devrait pas, si l’on en croit les déclarations d’Emmanuel Macron, remettre en cause les engagements environnementaux. Chaque État membre pourra décider d’appliquer ou non cette mesure.
À l’échelle de l’Union européenne, ce sont presque 4 millions d’hectares, soit l’équivalent de 5,7 % de la surface agricole totale de l’Union européenne qui deviendraient ainsi cultivables. Ainsi, dès le mois d’avril, les cultures de printemps pourraient être semées sur les jachères, notamment du maïs, de l’orge, du pois et du tournesol.
Défi environnemental et besoins de production accrus : comment concilier ces enjeux ?
Si l’on peut comprendre, au regard des tensions mondiales suscitées par le conflit ukrainien, ces appels à réviser nos quantités de production, il n’en reste pas moins que l’Europe se doit d’être prudente avant de s’engager pleinement dans une correction de sa stratégie du pacte vert au niveau agricole.
L’Europe se situe donc à un carrefour de sa politique agricole. Comment concilier les ambitions environnementales, si dans le même temps elle doit continuer à se réarmer sur la production et les exportations, ce qui signifie à n’en pas douter, produire toujours plus ?
Il serait inconcevable que l’agriculture européenne tourne le dos à ces engagements. La crise en Ukraine ne doit pas amener les dirigeants européens à se détourner de l’enjeu majeur que représente le défi environnemental qui nous concerne tous. Il faudra donc être très attentifs à ce que les mesures prises dans l’urgence, restent dérogatoires et temporaires pour le bien de tous.

